La réélection annoncée d’un président invalide est à l’image d’un pays qui souffre d’immobilisme et de désenchantement.
La présidence algérienne a officialisé, le 10 février, la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat dans la perspective de l’élection présidentielle du 18 avril. Il ne fait pas de doute que le président algérien, élu en 1999, sera reconduit et établira ainsi un record de longévité qui éclipsera celui de Houari Boumédiène, dont il avait prononcé l’éloge funèbre le 29 décembre 1978, à l’issue de treize années de pouvoir absolu. Mais c’est un zombie qui, âgé de 82 ans, cloué dans un fauteuil roulant et incapable de s’exprimer depuis son accident vasculaire cérébral de 2013, reclus dans sa maison médicalisée de Zeralda, occupe le pouvoir sans l’exercer.
La réélection annoncée d’un président paralysé et empêché de remplir ses fonctions de chef de l’État témoigne du mépris abyssal de la dictature algérienne envers le peuple, qui n’est plus dupe de sa gérontocratie, comme le montre la participation limitée à 37 % aux élections législatives du 4 mai 2017. Elle souligne également l’indifférence de la communauté internationale, préoccupée avant tout par la lutte contre l’islamisme.
Le nouveau sursis qu’entend se donner l’État FLN, au pouvoir depuis l’indépendance de l’Algérie, en 1962, semble cependant très précaire. Abdelaziz Bouteflika ne possède en effet qu’une seule des compétences attendues d’un président : il est l’image même de l’Algérie et d’un système politique qui ne peut ni se maintenir, ni se réformer, ni céder le pouvoir, ni l’exercer.
L’Algérie est plus que jamais en panne. Alors que le pays est immensément riche, la population est enfermée dans la pauvreté par le choix d’une économie socialiste et planifiée, la malédiction des matières premières et une corruption omniprésente. L’économie officielle dépend entièrement de la rente des hydrocarbures, qui représentent 96,4 % des exportations, contre 65 % en 1990, tandis que l’activité informelle atteint la moitié du produit national. La croissance plafonne autour de 2 %, le chômage touche le quart de la population active et la moitié des jeunes, provoquant l’exil des diplômés.
La prévarication est endémique, nourrie par le contrôle des importations, des prix et des changes, et les sorties illégales de capitaux excèdent 40 milliards de dollars par an. Le Trésor emprunte directement à la banque centrale pour financer un déficit public de quelque 12 % du PIB. Le besoin de financement extérieur s’élève à 20 milliards de dollars, quand les réserves de change ont été divisées par deux depuis 2014. Au cours des quatre mandats d’Abdelaziz Bouteflika, plus de 1 000 milliards de dollars de recettes d’hydrocarbures ont été affectés à l’achat de la paix sociale sans aucun impact sur le développement. En bref, l’Algérie est le Venezuela de l’Afrique.
Au plan politique, le ressort historique de la dictature algérienne qu’était l’anticolonialisme ne fonctionne plus. Comme le soulignait Kamel Daoud dans les colonnes du New York Times, le 2 mai 2016 : « En Algérie, les élites laïques et de gauche se sont rendues myopes en cultivant le traumatisme colonial comme seule vision du monde. » Pour sa part, le peuple algérien a compris depuis longtemps que l’exploitation de la guerre d’indépendance n’était qu’un alibi brandi par le régime pour justifier ses échecs.
Seule demeure la peur de la violence et du chaos, entretenue par les traumatismes de la sanglante guerre civile qui fit plus de 150 000 morts dans les années 1990. Mais l’ordre public n’a été rétabli par Abdelaziz Bouteflika qu’au prix d’une dangereuse alliance avec l’islamisme, dont le symbole est la grande mosquée d’Alger, qui a englouti plus de 4 milliards de dollars.
L’Algérie est une bombe à retardement dont l’explosion serait catastrophique pour les Algériens, pour l’Afrique du Nord ainsi que pour l’Europe. Elle cumule les risques démographiques, avec une population de 43 millions d’habitants – dont 70 % sont âgés de moins de 30 ans –, économiques et sociaux, avec la trappe du non-développement et la fin programmée de la rente des hydrocarbures. Risque politique aussi, avec une dictature trop forte pour être renversée mais trop faible pour être respectée. Autant de conditions favorables à une démocrature islamiste sur le modèle de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, dont l’influence ne cesse de se renforcer à Alger.
Au lieu d’osciller entre la peur et la passivité en attendant le chaos, la France et l’Europe doivent définir et mettre en œuvre vis-à-vis de l’Algérie une stratégie cohérente qui refuse toute instrumentalisation mémorielle. Et ce autour de quatre priorités. L’incitation aux réformes économiques, afin de libérer le potentiel de développement d’un pays qui dispose de tous les atouts pour devenir un grand émergent. Le soutien à la modernisation des infrastructures en offrant une alternative à la percée de la Chine, qui a ravi à notre pays la position de premier partenaire commercial. L’approfondissement des liens avec la société civile algérienne, vivante et connectée, en mobilisant le dynamisme de la diaspora et le levier de la langue française. L’intensification de la coopération en matière de sécurité autour de la lutte contre le terrorisme islamiste, de la stabilisation du Sahel et de la surveillance de la Méditerranée.
(Chronique parue dans Le Point du 21 février 2019)